Le dossier pédagogique dont on trouvera un court extrait ci-dessous s'adresse
aux enseignants du secondaire qui verront le film Romeo + Juliet
avec leurs élèves (à partir de quatorze ans environ). Il contient plusieurs
animations qui pourront être rapidement mises en œuvre en classe après
la vision du film.
Roméo et Juliette, entre théâtre et cinéma
Objectif
- Faire prendre conscience aux jeunes spectateurs de l'importance du
travail d'adaptation auquel le réalisateur Baz Luhrmann a soumis la pièce de
Shakespeare.
- Leur faire également apercevoir les différentes dimensions du travail
cinématographique.
Méthode
Les élèves sont répartis en plusieurs groupes chargés de comparer une scène
de la pièce de Shakespeare avec son adaptation cinématographique.
Chaque groupe lit la scène qui lui a été dévolue
avant la vision du film. Lors de la projection, chaque participant s'attachera particulièrement à la scène
en question. Une grille d'observation doit permettre d'orienter l'attention des
spectateurs vers différents aspects de ce travail d'adaptation.
On complétera en classe le plus rapidement possible la grille d'observation
et l'on échangera ensuite les observations des différents groupes.
Déroulement
Une première partie de l'animation doit se dérouler idéalement avant
la projection du film (le jour précédent par exemple). La classe est répartie en
quatre groupes qui se voient remettre chacun une scène de la pièce de Shakespeare
avec des indications et des commentaires nécessaires à sa compréhension [ces textes ne sont pas reproduits ici mais sont disponibles dans le dossier imprimé]. Les
élèves sont invités à lire silencieusement ce texte: le professeur répondra ensuite à
toutes les questions de compréhension que pourraient susciter ces textes.
Les quatre extraits proposés ici ont été choisis au début de la pièce afin que le
film (même si les élèves en connaissent sans doute la fin) garde l'essentiel des effets
de surprise déjà présents dans le drame de Shakespeare. On peut y ajouter, si les élèves
sont très nombreux, la fameuse scène d'amour au balcon (acte II, scène 2) où les
trouvailles du réalisateur abondent.
Les élèves seront alors invités à s'attacher, lors de la projection du film, à
la manière dont la scène qu'ils viennent de lire est adaptée par le réalisateur
Baz Luhrmann. Comme les quatre groupes ont reçu un extrait différent, il devront
être particulièrement attentifs à
quatre moments différents du film (ce qui
devrait permettre des échanges ultérieurs au sein de la classe).
Pour orienter cette observation, il faut recommander aux élèves de
repérer essentiellement les éléments de tous ordres qui
ajoutent un supplément de sens évident au texte de Shakespeare ou qui
modifient le sens de ce texte: tous les costumes ont dû être choisis par le réalisateur (ou son costumier), mais
seuls certains de ces costumes sont réellement significatifs. On peut aussi leur
suggérer d'observer en particulier les éléments suivants:
- le lieu et les changements de lieux où se déroule la scène;
- les costumes et maquillages des personnages;
- les gestes, les mouvements, les déplacements des personnages;
- la musique et les changements de musique (éventuellement le silence)
qui accompagnent le déroulement de la scène;
- les modifications ou les suppressions éventuelles dans le texte de Shakespeare;
- les émotions, les sentiments, les idées suggérés par la mise en scène du film et
qui ne sont pas présents dans le texte Shakespearien.
Il n'est évidemment pas possible lors d'une projection unique du film
d'arriver à une observation complète et détaillée de ces différents éléments (ce
qui supposerait un travail avec des ralentis, des arrêts, des retours en arrière
sur magnétoscope ou banc de montage). Les nombreuses suppressions et
modifications de texte, par exemple, auxquelles a procédé Baz Luhrmann ne peuvent
être toutes repérées à la simple audition, même si l'on a bien lu le texte
auparavant: néanmoins, il est facile de remarquer si certaines tirades relativement longues
ont été supprimées. On peut aussi se contenter, lors du retour en classe, de
souligner dans le texte écrit les phrases dont on se souvient qu'elles ont été
effectivement prononcées dans le film: cela suffit à comprendre que le cinéaste a mis
certaines parties du texte en évidence et en a négligé d'autres.
Ainsi, en répartissant le travail entre différents groupes et en demandant
peut-être aux élèves à l'intérieur de chaque groupe d'observer chacun un
élément différent (décors, costumes, gestes), on devrait recueillir une somme
d'observations sans doute sommaires mais suffisamment pertinentes pour être
échangées avec les autres spectateurs lors du retour en classe.
À ce moment, les élèves de chaque groupe rapporteront les résultats de
leurs observations: toutes les remarques mises en commun permettront de remplir
de manière aussi complète que possible la grille d'observation proposée
ci-dessous. Ensuite, les différents groupes échangeront le fruit de leur travail qui
sera éventuellement photocopié et remis à tous les élèves.
Commentaire
Dans ce travail d'observation, deux points méritent un commentaire
supplémentaire.
Les effets musicaux jouent un rôle essentiel dans l'atmosphère du film
même s'il sont rarement remarqués par les spectateurs, ce qui rend le travail
d'observation pour des jeunes élèves relativement difficile. On peut donc conseiller
aux élèves chargés de décrire la musique de se contenter d'utiliser des
qualificatifs sommaires (musique rock, douce, rapide, mélancolique, violente ) et
surtout d'essayer de noter les moments de la scène où la musique change ou s'arrête.
Une autre manière de procéder consiste à acheter la musique du film (sur
disque compact) et à demander à un élève aimant particulièrement la musique
d'écouter attentivement ce disque avant la projection du film, au point d'être capable
de reconnaître immédiatement les différents morceaux: cet élève sera alors
chargé lors de la vision de noter à quel moment les différents morceaux sont utilisés
(au moins pendant les quatre scènes qui auront été données plus précisément
à observer). Le disque ne comprend cependant pas toutes les musiques
notamment un extrait de Mozart (symphonie
25) et de Wagner (Tristan et Yseult), signalés
au générique final.
Dans le travail d'observation, on attirera également l'attention des élèves sur
un trait important, à savoir les émotions, les sentiments, les idées suggérés par le
film mais absents du texte de Shakespeare: ainsi, dans la scène finale où Roméo
et Juliette s'unissent dans la mort, le réalisateur a fait s'éveiller sa jeune
héroïne quelques instants avant que ne meure son amant, la jeune fille paraissant
encore paralysée à l'instant où celui-ci porte le poison à ses lèvres. L'effet (absent du
texte de Shakespeare) est évident: il aurait suffi d'une seconde pour que
l'irréparable soit évité. En même temps, le procédé explique sans doute beaucoup mieux
que Juliette comprenne immédiatement ce qui vient de se passer puisqu'elle l'a vu
de ses propres yeux (dans la pièce de Shakespeare, elle doit déduire que son
amant s'est suicidé d'après seulement la présence du poison auprès de son cadavre).
Acte I, scène 1: analyse
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lieux et changements de lieux, décors
Les Montague circulent d'abord en auto; puis ils s'arrêtent à une pompe à
essence; bagarre; la pompe à essence prend feu.
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costumes, maquillages
Les Montague en chemises colorées, cheveux blonds, décolorés ou rasés; sur
le crâne rasé de l'un d'eux, un tatouage Montague (visible lorsqu'il est dans la
voiture); Tybalt en costume noir avec des bottes de cow-boy.
-
gestes, mouvements, déplacements des personnages
En s'arrêtant à la station d'essence, les Montague n'ont pas vu que la voiture
de Capulet s'y trouvait déjà: le choc de la rencontre est plus brutal et plus fort que
chez Shakespeare.
Par ailleurs, les gestes de Tybalt sont théâtraux par exemple quand il enlève
son veston en tombant à genoux ou quand il prend la lunette de son pistolet; quand il
saute en l'air en tirant des deux mains, l'ensemble du mouvement est orchestré comme
un ballet.
-
musique et changements de musique
Au début quelques brefs moments de musique de western spaghetti
(notamment lorsqu'on voit les bottes de Tybalt): il s'agit des premières notes du morceau
Whatever des Butthole Servers. Puis la musique disparaît, mais lorsque la bagarre se
déclenche on entend une musique ample qui rappelle celle d'Ennio Morricone (dans les
westerns de Sergio Leone). Quand tout explose, la musique devient beaucoup plus sombre
avec une importante présence d'orgues.
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les modifications dans le texte de Shakespeare
La scène chez Shakespeare commence avec deux hommes du clan des Capulet
qui disent leur haine des Montague: toutes ces répliques sont supprimées. Le film
inverse également certains rôles: c'est un Montague qui provoque les Capulet en se
mordant le pouce alors que dans la pièce c'est l'inverse.
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émotions, idées suggérées par la mise en scène
Dans la pièce, Montague et Capulet paraissent à égalité; dans le film en
revanche, les Montague paraissent terrifiés lorsqu'ils constatent que les Capulet sont à côté
d'eux. Le film accentue également la brutalité de Tybalt avec ses talons de bottes en acier,
qui tire sur les Montague en fuite avant que la police n'intervienne.
Par ailleurs, toute la scène est traitée sur un mode humoristique, la frayeur
des Montague étant exagérée: il y a notamment un jeu de scène avec une
automobiliste prise dans la rixe qui frappe sur la tête d'un Montague avec son sac à main.
(On peut aussi remarquer le contraste des costumes entre les Montague et
les Capulet, contraste qui souligne leur opposition).
-
Autre
Ambiance parodique de western: les bottes de Tybalt, les pistolet chromés avec
sur la crosse des représentations de la Vierge ou bien les armoiries d'une des deux
maisons ennemies, les très gros plans sur les yeux de Tybalt et de Benvolio comme dans les
duels des westerns de Sergio Leone.
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En résumé:
L'ensemble de la scène est traitée de manière fort peu réaliste par
le cinéaste: les personnages sont costumés de façon caricaturale, les gestes
sont excessifs, les mouvements réglés comme un ballet, les visages souvent
grimaçants. Il s'en dégage une impression parodique, accentuée par une musique
qui rappelle celle des westerns spaghetti et par nombre de détails (comme
les affiches ou le panneau publicitaire de la pompe à essence) destinés à nous
faire sourire.
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Acte I, scène 3: analyse
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lieux et changements de lieux, décors
Juliette plongée dans l'eau d'un piscine ou d'une baignoire; sa mère et la
nurse courent dans le grand escalier de la maison; la scène se termine dans la chambre de
la mère: Juliette est assise, sa mère debout finit de s'habiller avec l'aide de deux servantes.
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costumes, maquillages
Le contraste est frappant entre l'absence de maquillage de Juliette qui sort de
l'eau, fraîche et naturelle, et sa mère qui apparaît à moitié dénudée avec son corset, le
visage outrageusement maquillé (les yeux en particulier sont particulièrement agrandis) et
les cheveux collés sur le crâne sous un bonnet, mais qui l'instant d'après se transforme
en superbe reine égyptienne (on pense irrésistiblement à Cléopâtre).
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gestes, mouvements, déplacements des personnages
Ici aussi le contraste est saisissant entre d'une part l'agitation, les cris, l'hystérie
de la mère et de la nurse, et d'autre part le calme, la sérénité de Juliette.
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musique et changements de musique
Lorsque sa mère et sa nurse appellent Juliette dans l'escalier, on entend un
extrait de la symphonie 25 de Mozart (Allegro con brio) qui s'arrête cependant lorsque la
mère sort: on entend à ce moment le chant des oiseaux. La musique reprend lorsque la
nurse évoque les jours heureux dont doit profiter Juliette.
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les modifications dans le texte de Shakespeare
Toutes les tirades de la nurse (en fait la nourrice) sur Juliette bébé ont
été supprimées: les nourrices (au sens propre, celles qui allaitent l'enfant d'une
autre femme) sont un phénomène pratiquement inconnu, et le réalisateur a donc sans
doute préféré supprimer cet élément anachronique.
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émotions, idées suggérées par la mise en scène
On sent tout au long de la scène une rivalité entre la mère et la fille, entre la
beauté artificielle (oserait-on dire restaurée?) de la mère et celle naturelle de la fille, entre
le mari que la mère semble déjà vouloir imposer à sa fille et l'indépendance que
Juliette essaie de sauvegarder poliment. Lors du bal costumé, on verra d'ailleurs la mère
de Juliette danser lascivement avec Tybalt (ce qui permet au cinéaste de sous-entendre
que l'affection qu'elle lui porte est d'origine amoureuse), ce qui expliquera qu'après
sa mort, elle exige que le prince fasse exécuter Roméo, portant ainsi au plus haut
point (même si c'est en partie inconscient) le conflit avec sa fille.
-
Autre
Pour souligner l'agitation de la mère de Juliette, certains plans passent en accéléré.
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En résumé:
Dans cette scène, le réalisateur australien ajoute manifestement
une interprétation personnelle au texte Shakespearien en accentuant le
contraste entre Juliette et sa mère, entre une jeune fille dont la pureté est mise en
avant et une femme vieillissante qui se veut encore belle, qui est agitée par
des passions amoureuses cachées (même si cela apparaît dans une scène
ultérieure) et qui de ce fait perçoit sa fille comme une rivale qu'elle essaie de dominer
sinon de mater.
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Acte I, scène 4: analyse
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lieux et changements de lieux, décors
La scène se passe sur la scène de théâtre vide près de la plage. L'excitation de la
fête qui se prépare est accentuée par les explosions d'un feu d'artifice.
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costumes, maquillages
Tout le monde est costumé pour le bal: Roméo en particulier est habillé
d'une armure et d'une cotte de mailles, ce qui peut être compris comme un clin d'il à la
pièce de Shakespeare qui se passe à la Renaissance, époque où ces attirails étaient
encore utilisés (bien que largement sur le déclin).
Mais ce qui frappe surtout, c'est le déguisement de Mercutio, l'ami de
Roméo déguisé en femme avec minijupe, perruque blanches et paillettes.
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gestes, mouvements, déplacements des personnages
Toute la scène est dominée par la gestuelle provocatrice de Mercutio qui
nous montre notamment ses fesses puis sort de dessous sa jupette le carton d'invitation
qu'il remettra à Roméo.
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musique et changements de musique
La scène débute avec le feu d'artifice et la musique disco de Gavin
Friday Angel.
Cette musique va pourtant céder la place à une ambiance musicale beaucoup
plus sombre qui va accompagner toute la tirade de Mercutio sur la reine Mab, la fée
de songes. Cette musique inquiétante s'accentuera encore avec les mauvais présages
de Roméo que souligne un court extrait de l'opéra de Wagner,
Tristan et Yseult.
Mais cette sombre impression sera rapidement effacée par le morceau disco de
Kym Mazelle Young Hearts Run Free qui accompagne l'arrivée de la bande à la
réception des Capulet.
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les modifications dans le texte de Shakespeare
L'essentiel du texte shakespearien semble conservé, notamment le monologue
de Mercutio sur la reine Mab, fée des songes, même si certaines coupes ont été
pratiquées çà et là.
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émotions, idées suggérées par la mise en scène
Mercutio, travesti provocateur, est-il un homosexuel amoureux de Roméo?
Cette interprétation de Baz Luhrmann jette en tout cas un éclairage original sur la scène:
elle rend aussi beaucoup plus tragique la fin de Mercutio qui meurt blessé presque
par accident mais portant au cur un amour impossible pour Roméo.
Derrière l'aspect provocateur du personnage transparaît ainsi une dimension
beaucoup plus tragique qui se révèle notamment à la fin de sa tirade sur la reine Mab:
alors qu'il a commencé sa tirade sur le mode comique, il bascule très rapidement dans
une excitation dramatique qui s'accentue lorsqu'il parle des rêves d'amour que sont
censées éprouver les jeunes filles (Roméo l'interrompt d'ailleurs avec douceur à ce
moment comme s'il sentait que son ami était prêt à glisser dans une folie dangereuse). C'est
lui aussi qui éprouve sans doute ces rêves d'amour impossible.
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Autre
Mercutio offre à Roméo une pilule sans doute d'extasy, confirmant ainsi son
image d'homme des plaisirs «pervers» ou «défendus» (bien entendu, à notre
époque, l'opprobre qui frappait l'homosexualité ou la consommation de drogues est
beaucoup moins fort et contribue en fait surtout à la fascination que peut provoquer le
personnage). Mais cette pilule joue surtout un rôle important dans la scène qui suit où
Roméo découvrira Juliette au moment où il sortira précisément du cauchemar provoqué
par l'extasy.
-
En résumé:
Mercutio travesti et pourvoyeur de drogue, la provocation semble
à son maximum par rapport à l'image classique de Shakespeare. Elle ne
doit cependant pas masquer l'analyse plus fine du caractère de Mercutio
proposée le film: sous des dehors caricaturaux, l'on devine un personnage
tragique, victime d'un amour impossible, dont la mort préfigure celles de Roméo et
de Juliette.
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Acte I, scène 5: analyse
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lieux et changements de lieux, décors
Plusieurs éléments de décors originaux sont utilisés par le réalisateur,
notamment l'aquarium à travers lequel Roméo aperçoit pour la première fois Juliette, ensuite
la colonne derrière laquelle il se cache pour saisir la main de Juliette, enfin l'ascenseur
où tous deux se réfugient pour échapper aux poursuites de la mère de Juliette.
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costumes, maquillages
Roméo en preux chevalier, Juliette en ange, Mercutio en meneuse de
revue musicale, Capulet en empereur romain de la décadence, les costumes censés
masquer les personnages dévoilent en réalité leur âme. Paris en cosmonaute dégage quant à
lui une forte impression de ridicule.
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gestes, mouvements, déplacements des personnages
À travers l'aquarium, Roméo et Juliette se découvrent simultanément (alors
que dans la pièce, Juliette ne semble regarder Roméo que lorsqu'il lui saisit la
main): s'institue ainsi entre eux un très long jeu de regards qui leur permet littéralement de
faire connaissance. Lorsqu'elle dansera avec Paris, Juliette ne cessera ainsi
d'observer Roméo, lui signifiant par de fines mimiques qu'elle se moque de son cavalier.
Roméo profitera des applaudissements qui saluent la fin de la prestation
musicale de la chanteuse noire pour saisir la main de Juliette, caché derrière un pilier.
S'ensuivra tout un jeu de scène qui permettra à Roméo et Juliette de s'éclipser
dans l'ascenseur, montant et descendant pour échapper à la mère de Juliette
accompagnée de Paris.
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musique et changements de musique
Tout le début de la scène est marquée par la musique disco de Kym Mazelle
alors que Roméo est sous l'emprise de la drogue et qu'il voit notamment Mercutio
en meneuse de revue. Mais le silence se fait lorsqu'il se plonge le visage dans l'eau;
puis, lorsqu'il échange ses premiers regards avec Juliette, une chanteuse noire (présente
à l'écran) chante un morceau de blues accompagnée au piano (il s'agit du thème du
film, Kissing You par Des'ree). La fin de la scène (lorsque les amants découvrent
qu'ils appartiennent à des familles ennemies) est cependant marquée par une musique
de violons beaucoup plus sombre: un court instant, le rock de One Inch Punch,
Pretty Piece of Flesh, semble renaître (quand Mercutio embarque Roméo dans l'auto),
mais le même thème sombre submerge Juliette sur son balcon («Inconnu vu trop tôt
et reconnu trop tard») et Roméo qui s'éloigne d'elle.
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les modifications dans le texte de Shakespeare
L'essentiel des répliques semble conservé même s'il y a sans doute plusieurs
petites coupures pour raccourcir le texte.
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émotions, idées suggérés par la mise en scène
La mise en scène de Baz Luhrmann met l'accent sur l'échange de regards
entre Roméo et Juliette: ils se découvrent à travers l'aquarium, puis Juliette fait des
petits signes à Roméo pendant qu'elle danse avec Paris, et ce n'est qu'ensuite que se
produit le premier échange verbal entre eux. Ces longs échanges de regards permettent ainsi
à l'amour de s'installer entre eux alors que dans la pièce il semblerait que Juliette
réponde immédiatement aux premières paroles de Roméo comme si quelques mots
suffisaient à la séduire. Toute la scène dans le film est par ailleurs traitée de façon très légère à
cause notamment du personnage ridicule de Paris dont se moque Juliette, ainsi que de sa
mère qui la poursuit maladroitement.
C'est aussi par le regard que Roméo comprendra que Juliette appartient à la
famille des Capulet lorsqu'il la verra appelée par sa mère. Mais à ce moment, la scène
prendra une tournure beaucoup plus dramatique.
-
Autre
Pour traduire le malaise de Roméo sous l'influence de la drogue, un trucage
nous montre le jeune homme comme emporté sur un manège tournoyant, tout le décor et
les autres personnages défilant autour de lui.
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En résumé:
La mise en scène de Baz Luhrmann ne change pas le sens
fondamental de la scène, telle qu'elle se trouve chez Shakespeare. Elle met cependant
en évidence les échanges de regards entre Roméo et Juliette (à travers
l'aquarium, lorsque Juliette danse avec Paris) tout en multipliant les déplacements
des personnages (le jeu avec l'ascenseur est évidemment absent chez
Shakespeare) et en utilisant au maximum les ressources de l'espace (Roméo caché
derrière un pilier, Roméo au bas de l'escalier où Juliette rejoint sa famille). Le
réalisateur étire ainsi longuement la scène de la séduction (qui fait à peine dix-huit
vers chez Shakespeare), ce qui rend sans doute plus vraisemblable cet amour
qui s'installe entre Roméo et Juliette. En même temps, cette priorité à
l'image permet de suppléer aux difficultés du texte de Shakespeare où Roméo
compare ses lèvres à des pèlerins, comparaison poursuivie par Juliette qui parle du
geste de la main de Roméo comme d'un geste de dévotion Le texte, il faut
l'avouer, est pratiquement incompréhensible à la simple audition, et il était sans
doute judicieux pour le cinéaste de s'en remettre, pour une bonne part, aux
suggestions de l'image.
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