Point de vue de l'auteur, point de vue des personnages
Pourquoi Gonzague tue-t-il Nevers? Parce qu'il est méchant et que son
cousin l'a déshérité. Sans doute, mais, en faisant cette
réponse, on se place du point de vue des personnages. Car, d'un autre
point de vue, si Gonzague ne tuait pas Nevers, Lagardère ne devrait pas le
venger, et il n'y aurait pas de bossu, ni de film à réaliser...
L'histoire du Bossu est une fiction, et chaque épisode a
été inventé par l'auteur du scénario pour créer
un effet de suspense ou pour nous donner l'envie de connaître la suite ou
encore pour provoquer chez le spectateur telle ou telle émotion.
Es-tu capable de deviner quelle était l'intention de l'auteur en
inventant les scènes suivantes? Plusieurs réponses te sont
proposées: l'une correspond chaque fois au point de vue des personnages
(marque-la par exemple d'une croix), les autres au point de vue de l'auteur.
Choisis parmi ces dernières celle qui te paraît la plus pertinente.
Puis justifie ta réponse.
-
Dans la première scène du film à la salle d'armes,
Gonzague se tient seul derrière une balustrade dans une galerie en
surplomb d'où il observe son cousin en train de s'escrimer.
- Gonzague est montré comme un personnage un peu ridicule, un faible
qui reste à l'étage comme les femmes au lieu d'apprendre
à se battre comme les hommes de sa condition.
- Dès le départ, on doit comprendre que Gonzague est dans
l'ombre comme une menace planant constamment derrière le duc de
Nevers.
- Gonzague surveille tous les faits et gestes du duc de Nevers.
-
Après le guet-apens tendu par Peyrolles, Lagardère défie
une nouvelle fois Nevers qui, grâce à sa botte, le désarme
et menace de le tuer en lui plantant son épée entre les deux
yeux. Lagardère s'évanouit alors.
- Lagardère s'évanouit de peur.
- Dans toute la première partie du film, Nevers est montré
comme un grand seigneur qui n'a rien à faire avec un bretteur comme
Lagardère à qui il n'a aucune raison de découvrir le
secret de sa botte. Il faut donc chaque fois un subterfuge, une astuce pour
que le contact puisse s'établir entre les deux hommes: la
première fois, Lagardère subtilise au porteur la lettre de
Blanche de Caylus; cette fois, il s'évanouit, ce qui interdit
évidemment à Nevers de le tuer.
- Contrairement à ce qui se passe dans beaucoup de films à
grand spectacle, Lagardère n'est pas montré comme un
héros surhumain mais comme un personnage somme toute ordinaire,
provocant sans doute mais pas téméraire: comme tout le monde,
il a peur de mourir.
-
Peyrolles, l'homme de main de Gonzague, crache constamment le sang.
- Malade sans doute de façon incurable, Peyrolles vit sous la menace
de la mort. Mais comment un homme peut-il continuer à vivre en se
sachant condamné sinon en devenant indifférent à son
propre sort? Donc, si son propre sort ne l'émeut pas, celui des autres
qu'il tue doit encore moins l'émouvoir. Cet aspect maladif du
personnage fait ainsi admettre au spectateur l'insensibilité et la
cruauté du personnage.
- Il est malade, sans doute la tuberculose qu'on ne pouvait soigner
à cette époque.
- L'acteur a été choisi pour inspirer la crainte: borgne,
défiguré, il est montré comme porteur de maladie, ce
qui, consciemment ou inconsciemment, nous inspire de la peur (à cause
notamment de l'idée de contagion).
-
À Caylus, le château apparaît au milieu d'un décor
enneigé. Plus tard, Lagardère s'enfuira avec Aurore sur les bras
au milieu des montagnes enneigées.
- La neige signifie l'isolement, l'isolement de Blanche de Caylus dans le
château de son père qui ressemble à une forteresse,
l'isolement de Lagardère perdu au milieu de ses ennemis et d'une
nature hostile.
- C'est l'hiver, et, dans les Pyrénées, il neige
souvent.
- La neige accentue le caractère sauvage de la région,
sauvagerie qu'on retrouve dans tout le film, sauvagerie des moeurs de
l'époque, sauvagerie des hommes de Gonzague qui va bientôt se
déchaîner.
-
Le duc de Nevers, parti à la recherche de la couronne d'oranger de sa
femme, remarque des gouttes de sang sur la couronne.
- Un homme vient d'être tué sur un toit par les hommes de
Gonzague
- L'image est frappante à cause du contraste entre le bonheur
symbolisé par les fleurs d'oranger et le sang, symbole de mort.
- Le sang, qui n'apparaît d'abord que comme un élément
minuscule, fonctionne comme un signal, un indice d'un changement d'ambiance:
quelque chose de grave est en train de se passer.
-
Nevers découvre toute la noce assassinée. Un gros plan montre la
cire d'une bougie qui a coulé sur le visage d'un cadavre.
- Les hommes de Gonzague sont passés par là et ont
massacré tout le monde.
- Toute la scène est destinée à prouver la
cruauté de Gonzague capable d'assassiner une noce entière pour
atteindre son but. Les cadavres sont en outre laissés à
l'abandon au point que la cire peut couler indifférente sur le visage
d'un mort.
- L'image est saisissante, à la fois grotesque et tragique. Jamais
de la cire ne coulerait d'une telle façon sur un visage humain sauf
s'il s'agit d'un cadavre immobile, rigidié, dont la vie s'est
écoulée comme la cire de la bougie maintenant prête
à s'éteindre.
-
Dans la bergerie où il s'est réfugié, Lagardère est
en train d'embrasser la jeune femme du groupe de saltimbanques lorsqu'Aurore,
bébé, se met à crier: Lagardère se précipite
pour la rendormir en expliquant qu'elle a dû faire un mauvais rêve.
- Aurore crie au moment où Lagardère s'apprête à
faire l'amour à une autre femme comme si elle était
déjà sa «maîtresse», comme si elle
était jalouse et interdisait à Lagardère de la
«tromper».
- Lagardère se conduit déjà comme un père
attentionné.
- Il y a dans cette scène un fort contraste entre le
caractère de Lagardère tel qu'il a été
décrit jusque-là - un bretteur, un coureur de jupons - et
l'attention toute nouvelle qu'il est capable de manifester pour un petit
enfant comme Aurore. C'est un signal pour avertir le spectateur qu'une
intrigue nouvelle se construit autour d'Aurore et de Lagardère (qui,
peu de temps auparavant, avait déclaré en découvrant que
le bébé était une fille «Tout ce tintouin pour une
drôlesse»).
-
Lors du faux enterrement d'Aurore, Gonzague déclare à Blanche, en
parlant de Lagardère, que «pour certains êtres, le mal est
la seule jouissance».
- Gonzague parle en fait de lui-même même si Blanche et le duc
d'Orléans ne s'en doutent pas.
- C'est une remarque destinée au spectateur qui seul peut deviner le
double sens des paroles de Gonzague.
- L'accent est moins mis sur la cruauté du personnage (ce qui est
plutôt le cas de Peyrolles) que sur sa formidable hypocrisie: il en
vient à dire ouvertement ce qui constitue sa vérité tout
en réussissant à la masquer.
-
Aurore accepte avec son jeune compagnon l'invitation des deux roués au
Palais-Royal. Mais cela se révèle vite être un guet-apens.
- L'épisode est destiné à montrer le climat de
débauche qui régnait à l'époque et qui contraste
avec la pureté de l'amour qui va naître entre Aurore et
Lagardère.
- L'épisode permet de relancer l'action: en tuant Louis-Joseph
grâce à la botte de Nevers, Aurore prévient malgré
elle Gonzague du retour de Lagardère. Peyrolles va bientôt
être envoyé à Chaillot pour retrouver
Lagardère.
- Aurore est une jeune fille naïve qui ne se doute pas du sort que lui
réservent les roués.
-
Après la mort du bossu Esope, Gonzague s'exclame:
«Lagardère! Il est là, tout proche! Je le sais, je le
sens!». Au plan suivant, on voit Lagardère aux portes de
l'hôtel de Nevers, sous la pluie, caché sous une cape et un grand
chapeau.
- Lagardère n'a rien à faire là: son image est
seulement destinée à personnifier la menace qui pèse sur
Gonzague grâce au choc du montage qui fait succéder en un
instant l'image de Lagardère à celle de Gonzague.
- Lagardère est déjà sur place et s'apprête
effectivement à exercer sa vengeance.
- Le visage de Lagardère vu de profil rappelle l'image de l'oiseau
de proie avec son nez crochu comme un bec et sa cape comme de grandes ailes
repliées.
-
Blanche de Nevers, devenue veuve, vit dans un appartement tout blanc, et est
elle-même habillée de blanc.
- Le blanc rappelle le nom même de Blanche de Nevers.
- Blanche est veuve et vit dans le souvenir de son mari: elle ne peut donc
pas vivre dans un appartement joyeusement coloré. Le noir complet
aurait sans doute paru exagéré, et donc le blanc
immaculé permet de symboliser ce deuil qui perdure.
- Le blanc peut avoir de multiples valeurs: comme absence de couleurs, il
peut symboliser l'absence de vie (on connaît l'expression «blanc
comme un mort»). Dans ce décor, Blanche apparaît comme un
être entre la vie et la mort.
- Blanche est indifférente au monde qui l'entoure.
-
Aurore et Lagardère se retrouvent ensemble à Paris dans une
maison apparemment en ruines, et la jeune fille déclare son amour au
chevalier.
- Aurore préfère, comme elle le dit, vivre dans un grenier
avec Lagardère plutôt que dans un palais sans lui.
- Le décor paraît moins ruiné que vide avec les deux
personnages vus d'en bas par la caméra comme s'ils étaient au
sommet d'une colline: on dirait qu'ils envisagent leur avenir comme un
paysage qu'ils auraient sous les yeux, encore vierge parce que tout leur est
possible. Par contraste, l'appartement de Blanche de Caylus est
complètement fermé, et c'est le bossu qui cassera les planches
qui en obstruent les fenêtres.
- Le réalisateur a préféré éviter de
multiplier les décors d'époque évidemment très
chers à réaliser. Une maison en ruines peut être
recréée à peu de frais par un décorateur.
-
Gonzague surprend le bossu en train d'inspecter ses livres de comptes. Il
discute avec lui en l'invitant à boire du vin de son pays, Mantoue.
- La scène est destinée à faire ressentir au
spectateur un lourd climat d'angoisse: on se demande si Gonzague a
deviné qui était le bossu et si le vin qu'il lui offre n'est
pas empoisonné. Tout se joue sur des doubles sens dont le spectateur
devine immédiatement l'ambiguïté: Gonzague déclare
ainsi que la vie n'est qu'une méprise alors qu'il est dupé par
le bossu.
- Gonzague ruiné a besoin d'aide et est prêt à s'en
remettre au bossu dès qu'il a confiance en lui.
- À travers les spéculations hasardeuses de Gonzague, le film
nous propose une description d'un coup boursier, description qui est toujours
d'actualité.
-
Alors que Lagardère vient de libérer Aurore du bateau où
elle se trouvait avec d'autres prisonnières qui vont être
déportées en Louisiane, Gonzague crie «Laissez-le moi.
Soyons modernes, expéditifs» et, saisissant un pistolet, il tire
aussitôt sur Lagardère.
- Cette scène complète le portrait de Gonzague qui, s'il est
méchant, est également montré comme un faible qui doit
compenser son manque de force (il est maigrelet) ou de puissance (ce n'est
certainement pas un maître d'armes) par la ruse (il tue Nevers par
derrière), par le recours à des comparses (Peyrolles) ou
à des subterfuges comme le pistolet perçu comme déloyal
par rapport à quelqu'un armé seulement d'une
épée.
- Gonzague est décidé cette fois à ne pas laisser
s'échapper Lagardère et à ne lui laisser aucune chance:
il sait qu'à l'épée, il ne pourrait pas le vaincre.
- L'épisode est surprenant parce que l'on pense assister à un
nouveau duel à l'épée et que Lagardère va encore
une fois user de la botte secrète de Nevers. Les paroles de Gonzague
sont en plus légèrement comiques car son pistolet n'a, à
nos yeux, rien de moderne.
-
Lorsque le cadavre de Peyrolles tombe aux pieds de Gonzague, celui-ci
s'écrie «Non, je n'admets pas!».
- Gonzague ne supporte pas l'idée de voir tous ses plans
échouer à cause de l'obstination d'un seul homme.
- Les paroles de Gonzague sonnent de manière comique car ce qu'on
n'admet pas, c'est un comportement qu'on juge inconvenant ou immoral. La
réalité, celle du cadavre de Peyrolles, ne saurait être
refusée: elle existe, un point c'est tout.
- À travers ces paroles, on sent combien Gonzague est en fait mal
à l'aise dans son rôle: il voudrait être le plus riche, le
plus puissant, mais il n'a pas les moyens de son ambition, il n'est pas
capable de plier le monde à sa volonté. Il est donc plus faible
qu'il ne croit. D'où ces paroles absurdes.
-
Dans la dernière scène, après la mort de Gonzague, Aurore
ordonne à Lagardère «Tourne-toi. Maintenant tout droit. Je
veux dire plus près», et ils s'embrassent.
- Aurore aime Lagardère et veut le montrer à l'ensemble de la
Cour malgré les préjugés qui rendent impossible le
mariage d'une fille de duc avec un simple chevalier.
- Les paroles d'Aurore sont une répétition de la botte de
Nevers, mais cette fois, ce sont des paroles d'amour. C'est une
manière de terminer le film en beauté.
- Tout le film vise à donner un rôle actif à Aurore
qui, on s'en souvient, s'est débrouillée à merveille
pour sortir du guet-apens au Palais-Royal. Cette fois encore, c'est elle qui
prend, si l'on peut dire, les choses en mains pour faire triompher ses
sentiments malgré les réticences de Lagardère et de la
Cour qui les entoure.
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